Bruxelles allume la mèche

La Commission européenne a présenté, le 2 mai, sa proposition de budget 2021-2027. Une enveloppe financière de 1 135 milliard d’euros, « comparable » à la précédente (2014-2020), est prévue, dont 365 milliards d’euros pour la Pac (- 5 %). Les réactions sont très négatives en France.

La Commission européenne propose « une réduction modérée du financement de la politique agricole commune ainsi que de la cohésion – de 5 % environ dans les deux cas – afin de tenir compte de la nouvelle réalité d’une Union à 27 . Ces politiques seront modernisées afin de garantir qu’elles puissent rester efficaces avec moins de ressources et même appuyer de nouvelles priorités. Ces modifications auront pour effet de rééquilibrer le budget et de mettre davantage l’accent sur les domaines dans lesquels le budget de l’UE peut être le plus efficace. »

Sur la base des propositions présentées le 2 mai, Bruxelles soumettra, dans les prochaines semaines, des propositions détaillées concernant les futurs programmes financiers sectoriels. La décision relative au futur budget à long terme de l’UE reviendra alors au Conseil, statuant à l’unanimité, avec l’approbation du Parlement européen. Selon la Commission, « le temps presse. Les négociations relatives à l’actuel budget à long terme de l’UE ont été trop longues. De ce fait, des programmes financiers clés ont été retardés et des projets réellement susceptibles de stimuler la reprise économique ont été reportés. Les négociations doivent donc se voir accorder la plus haute priorité, et un accord devrait être atteint avant les élections du Parlement européen et le sommet de Sibiu qui aura lieu le 9 mai 2019. La Commission fera tout ce qui est en son pouvoir pour parvenir rapidement à un accord. »

« Plus de souplesse au niveau national »

La Commission « propose une politique agricole commune réformée et modernisée, qui permettra de préserver un marché unique des produits agricoles pleinement intégré dans l’UE. Cette politique réformée garantira également l’accès à une alimentation sûre, de grande qualité, abordable, nutritive et diversifiée. Elle mettra davantage l’accent sur l’environnement et le climat. Elle soutiendra la transition vers un secteur agricole pleinement durable et le développement de régions rurales dynamiques ».

La Pac réformée, dotée d’un budget de 365 milliards d’euros, restera fondée sur deux piliers : les paiements directs en faveur des agriculteurs (286,2 milliards pour le Fonds européen agricole de garantie) et le financement du développement rural (78,8 milliards pour le Fonds européen agricole pour le développement rural). Pour ce second pilier, « la Commission propose d’accroître les taux de cofinancement nationaux. La gestion sera partagée entre l’UE et les États membres. La Commission propose d’instituer un nouveau modèle de mise en œuvre, délaissant l’approche actuelle fondée sur la conformité au profit d’une approche axée sur les résultats, afin d’atteindre des objectifs communs fixés au niveau de l’UE mais mis en œuvre avec plus de souplesse au niveau national. » Par ailleurs, 10 milliards d’euros sont prévus pour « soutenir la recherche et l’innovation dans les secteurs de l’alimentation, de l’agriculture, du développement rural et de la bioéconomie ».

Des paiements directs « simplifiés et mieux ciblés »

« Les paiements directs en faveur des agriculteurs demeureront un volet essentiel de la politique de l’UE, mais ils seront simplifiés et mieux ciblés. Une répartition plus équilibrée sera encouragée, et un plafonnement obligatoire des montants reçus ou des paiements dégressifs seront instaurés au niveau des exploitations. Cela implique que l’aide sera redistribuée au profit des petites et moyennes exploitations, et potentiellement du développement rural. Les paiements directs par hectare versés dans les différents États membres continueront à converger vers la moyenne de l’UE.  La nouvelle politique exigera un niveau d’ambition plus élevé en matière d’environnement et de climat, en renforçant la conditionnalité des paiements directs, de manière à cadrer avec les objectifs environnementaux, en réservant une partie importante des financements destinés au développement rural à des actions bénéfiques pour l’environnement et le climat et en introduisant des programmes écologiques volontaires dans le budget pour les paiements directs, dans un cadre stratégique fondé sur les performances. Une nouvelle réserve de crise sera constituée afin de faire face aux crises nées d’évolutions imprévisibles sur les marchés internationaux ou de chocs spécifiques pour le secteur agricole qui résulteraient d’actions de pays tiers. »

Plafonnement des aides ou paiements dégressifs

« Le nouveau modèle de mise en œuvre visera notamment à simplifier très largement les règles applicables aux exploitants agricoles et aux administrations. Les paiements directs demeureront un élément essentiel de la politique agricole commune, mais ils seront quelque peu diminués et mieux ciblés. Le soutien au revenu de base sous forme de paiements directs, et plus particulièrement de paiements découplés, fera partie intégrante des interventions relevant du plan stratégique établi par les États membres. Les États membres auront la possibilité de transférer une partie de leur dotation au titre des paiements directs vers le développement rural, et inversement. »

« Dans le système actuel, 20 % des agriculteurs perçoivent 80 % des paiements directs, les paiements étant liés à des terres concentrées entre les mains d’une minorité d’exploitants agricoles. Il conviendrait de promouvoir une répartition plus équilibrée moyennement l’instauration d’un plafonnement obligatoire des paiements au niveau de l’exploitation (à l’exception des coûts du travail) ou de paiements dégressifs diminuant avec la taille de l’exploitation. Les montants ainsi économisés demeureront dans l’enveloppe de l’État membre à l’origine de ces économies pour être redistribués ensuite sous forme d’aides au développement rural ou aux petites et moyennes exploitations. »

Abandon du « verdissement »

L’écart de niveau des paiements directs par hectare entre les États membres continuera de se réduire. Pour tous les États membres dans lesquels les paiements directs sont inférieurs à 90 % de la moyenne de l’EU-27, l’écart entre leur niveau actuel et ce niveau de 90 % sera réduit de moitié. Cet effort de convergence sera financé par l’ensemble des États membres. Le «verdissement», tel qu’il est mis en œuvre actuellement, sera abandonné au profit d’une approche plus ciblée et plus ambitieuse mais flexible, qui intégrera la conditionnalité, les paiements directs verts et les mesures agro-environnementales et climatiques actuels, dans le but de relever le niveau d’ambition en matière d’environnement et de climat de la politique agricole commune.

« Les plans stratégiques devront comprendre une mesure de soutien en faveur des outils de gestion des risques, y compris les instruments de stabilisation des revenus. Une nouvelle réserve de crise sera créée dans le cadre du Fonds européen agricole de garantie. L’accès à cette réserve sera subordonné à l’élaboration, au niveau national, d’une stratégie relative aux outils appropriés de gestion des risques (tels que les assurances). »

DES RÉACTIONS TRÈS NÉGATIVES EN FRANCE

Pour le ministre de l’agriculture, Stéphane Travert (notre photo), « la France ne peut accepter » la proposition de réduction de 5 % du budget de la Pac. « Une telle baisse, drastique, massive et aveugle, est simplement inenvisageable. Elle comporte un risque sans précédent sur la viabilité des exploitations en impactant dangereusement les revenus des agriculteurs pour qui les aides directes constituent un filet de sécurité essentiel. La France ne pourra accepter aucune baisse de revenu direct pour les agriculteurs (…) Dès maintenant, le gouvernement va analyser de manière approfondie ces propositions qui ne constituent que le point de départ des négociations qui vont s’engager au niveau européen (…) Si nous voulons accompagner la transition de notre agriculture vers des systèmes plus durables, plus résilients et plus performants, si nous voulons répondre aux attentes des consommateurs et plus largement des citoyens, il nous faut préserver le revenu des agriculteurs et donc maintenir un budget de la Pac à la hauteur de cette ambition. »

Pour la FNSEA, « l’agriculture est sacrifiée [par le projet de budget 2021-2027) puisque la Pac connaît un réel coup de rabot de 10 % en tenant compte de l’inflation ! Ce sera même 15% de moins pour le 1er pilier en 2027. Au-delà de la compensation du Brexit, la Pac est mise à contribution pour financer les nouvelles politiques de l’UE (sécurité, défense) à hauteur de plus de 8 milliards d’euros. Un tel budget est inacceptable : il ne permettra pas à l’agriculture de relever les nouveaux défis auxquels elle est confrontée, en particulier la volatilité des prix et le changement climatique ; il risque aussi d’accélérer le déclin de la compétitivité d’un secteur pourtant stratégique au titre de notre souveraineté alimentaire ; il menace directement le revenu des agriculteurs (…) La FNSEA en appelle solennellement au chef de l’Etat pour provoquer un véritable sursaut de l’UE. L’accord historique entre M. Chirac et M. Schroeder a sauvé une Pac ambitieuse en 2008. La France a de nouveau rendez-vous avec l’histoire. Nous demandons au président de la République de trouver un accord avec Mme Merkel pour conforter la première politique européenne intégrée et redonner confiance aux agriculteurs. »

Pour la Coordination rurale, « la baisse du budget de la PAC, afin de compenser les baisses de budget provoquées par le Brexit, annonce une augmentation inévitable de la précarité des agriculteurs, impensable compte tenu de leur situation déjà très difficile (..) Il n’y a plus à tergiverser : la France doit maintenant prendre la tête d’une remise en cause radicale de la Pac et faire des propositions pour une politique moins dispendieuse mais efficace, avec des productions et des marchés régulés et protégés assurant un revenu équitable et stable aux agriculteurs européens que le système absurde actuel fait disparaître à un rythme accéléré (…) La CR en appelle au président de la République pour que, fort des États généraux de l’Alimentation qu’il a lancés en France, il fasse organiser d’urgence des EGA européens pour une PAC 2020 efficace, qui protège et reconnaisse ceux qui nourrissent les citoyens européens et entretiennent leur environnement. »

Le projet de budget de l’UE 2021-2027 présenté par la Commission européenne « prévoit une baisse de 5 % des fonds alloués à la Pac. Pour la Confédération paysanne, la première question qui doit être posée s’agissant de la Pac est celle de ses objectifs. La Commission entend-elle pérenniser la Pac actuelle, dont les règles d’éligibilité et de calculs discriminent les petites fermes et les fermes diversifiées, qui ne répond pas aux attentes des paysans-ne-s et de la société, ou prévoit-elle un véritable changement de cap ? C’est la réponse à cette question qui devrait guider les choix budgétaires de l’UE et non l’inverse ! Ce choix, justifié par le Brexit, trahit-il en réalité la réponse à la question posée en aparté, il y a quelques mois, par le porte-parole de la Commission, Margaritis Schinas : « avons-nous besoin d’autant d’agriculteurs en Europe ? » ? Si tel est le cas, cela augure mal de la future proposition législative de la Commission européenne sur la réforme de la PAC, dont le détail est attendu fin mai. »

Pour la Fédération nationale bovine (FNB), la Commission européenne a l’« intention de réduire de près de 10 % les aides directes auxquelles pourraient prétendre les agriculteurs au titre de la Pac après 2020 (…) Alors que le revenu moyen des éleveurs de bovins de races à viande s’élève aujourd’hui à environ 1 000 euros par mois et que 2 000 exploitations d’élevage ferment déjà leurs portes, chaque année, en France, une telle baisse de 10 % du budget de la Pac enclencherait un processus de disparition de cette activité. Car c’est bien la survie de l’élevage français qui est ici mise en jeu : une survie dont dépend celle de territoires ruraux tout entiers. »

BC

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