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Beef Carbon ou l’écologie positive

Benoît Aurière, associé à ses parents, élève des Salers et des croisés Charolais dans le Cantal. Il s’est impliqué dans le projet Beef Carbon qui « allie la performance environnementale et économique ».

A La Malevieille, un hameau de Valuéjols situé à 1 150 mètres d’altitude, le paysage n’est que prairies, forêts et collines. Pas surprenant que les 235 ha du Gaec Aurière-Royer se répartissent entre 95 ha d’estives, 129 ha de surfaces fourragères et 11 ha de triticale. Le troupeau de 130 mères Salers est conduit pour moitié en race pure, pour moitié en croisement charolais, essentiellement en monte naturelle. Les vaches de réforme et les génisses Salers sont vendues sous label rouge, pourvu qu’elles n’aient pas atteint l’âge de dix ans. « Soit je trouve un prix qui me convient, soit je garde mes animaux. Les prix en allaitant n’ont pas bougé depuis trente ans, mais les charges ont explosé », résume Benoît Aurière. Une stratégie commerciale payante jusque-là, assure l’ancien président des JA du Cantal. Les femelles croisées sont engraissées jusqu’à 30 mois et vendues à une boucherie de Clermont-Ferrand via une autre « filière de qualité ». L’éleveur espère pouvoir y écouler, à l’avenir, les mâles Salers (moins de 18 mois et de 370 kg carcasse) achetés jusque-là par la SVA Jean Rozé. Les mâles croisés, enfin, sont exportés en vif vers l’Italie et l’Algérie.

L’exploitation dispose de deux bâtiments d’élevage capables d’abriter 90 vaches et 57 vaches respectivement. Le plus grand est parfaitement isolé, de façon que la température ne tombe jamais sous les 10°C au plus fort de l’hiver, et n’explose pas en été. Le second bâtiment, une belle construction en pierre du 19e siècle, est en cours de modernisation. Aire paillée intégrale et foin à volonté pour tout le monde. La ration est complétée avec des céréales aplaties (triticale et orge). La mélangeuse a été remisée car elle ne créait « pas de gain » en termes de croissance des animaux. La distribution de l’aliment n’a lieu qu’une fois par jour. Au départ, c’était dans un souci de simplification du travail. Mais l’expérience a montré que les vaches étaient « plus tranquilles » désormais. Dans les pâtures, des hangars munis d’un râtelier offrent protection et complément d’alimentation aux animaux.

Le Gaec Aurière-Royer s’implique depuis 2016 dans le projet européen Beef Carbon, qui ambitionne une réduction de 15 % en dix ans des émissions de gaz à effet de serre des élevages bovins viande. En relation avec Yann Bouchard, ingénieur à la Chambre d’agriculture du Cantal, un diagnostic de l’exploitation a été réalisé puis quatre pistes d’amélioration identifiées. Sur le papier, elles sont censées ramener de 6,2 à 6,1 kg équivalent CO2/kg de viande vive les émissions de gaz à effet de serre, soit un gain annuel de 4 tonnes d’équivalent CO2 (1 % d’émissions en moins). Cela pourrait apparaître relativement marginal mais, dans cet élevage « tout herbe » qui séquestre dès l’origine plus de dioxyde de carbone que la moyenne, le gain marginal est plus difficile à atteindre, insistent l’éleveur et son conseiller. Ce qui a convaincu Benoît Aurière de se lancer dans l’aventure, c’est que « Beef Carbon allie la performance environnementale et la performance économique ».

Haie et autonomie protéique

La première action envisagée, et déjà réalisée, consiste en l’implantation d’une haie en T de 150 mètres de long (sur 3 à 4 m de haut d’ici à cinq ans) en bordure d’une parcelle orientée au nord. Sa capacité à stocker 2 t de CO2 chaque année n’est pas son seul intérêt. C’est plus de confort pour les vaches abritées du vent froid et des prairies qui poussent mieux (sauf sur les 2 premiers mètres), pour la même raison. C’est aussi un abri pour les hermines, prédateurs naturels des rats taupiers, qui font des ravages dans la région, en particulier les années sans sécheresse, constate l’éleveur. Cerise sur le gâteau, la communauté de communes de Saint-Flour, distante de 20 km, a payé les arbres.

Deuxième action, accroître (de 22 à 48 t/an) la part de céréales autoconsommées. En pratique, il s’agit de remplacer la moitié du concentré acheté à l’extérieur (au prix de 312 €/t) par des céréales aplaties produites sur la ferme (dans le commerce, elles sont vendues 180 €/t). Les performances zootechniques n’ont pas baissé avec cet aliment moins coûteux (240 à 250 €/t). C’est aussi moins de camions sur les petites routes du Cantal, et en amont de l’usine d’aliment. La 3e action est du même ordre puisqu’il s’agit d’augmenter l’autonomie protéique par l’implantation de 3,5 ha de légumineuses pures (trèfle violet et trèfle blanc). A la clé, une baisse de 2 % des émissions de gaz à effet de serre associées à la complémentation azotée, présentée comme immédiatement rentable de surcroît. « Moins de concentré dans la ration, c’est moins de gaz à effet de serre », ajoute Yann Bouchard.

Anticiper la mise à l’herbe

Quatrième action : anticiper les mises à l’herbe – début avril plutôt que début mai – sur le second site d’Andelat, proche de Saint-Flour. Cela doit permettre d’arrêter de faucher la parcelle (donc d’y descendre tracteur et matériels avant de les remonter) et de faire baisser le coût alimentaire car l’herbe pâturée est la plus économique. C’est aussi moins d’effluents à évacuer des bâtiments et à stocker. La sortie précoce des animaux est d’autant plus intéressante que « les vaches aident l’herbe à pousser quand il gèle », a constaté l’éleveur. Cette année, cependant, pas de chance : « on est passé directement du gel à la canicule. On a manqué d’eau et il a fallu remonter les animaux. Les sources ne suffisent pas quand les vaches ont besoin de 60 à 70 litres d’eau par jour. » Comme le fourrage va manquer, il a semé du blé à la volée qu’il récoltera en octobre, si tout se passe comme prévu…

Au-delà des aléas du moment, Benoît Aurière reste philosophe : « En 2019, dans le Cantal, le déficit d’herbe atteint 40 à 50 %. Mais ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera pas demain. Il faut être performant sur le carbone tout en s’adaptant au contexte de l’année. Avec le changement climatique, nous avons gagné une semaine au printemps sur la sortie des animaux, et nous les rentrons plus tard en automne. C’est nouveau, les animaux maigrissent l’été et s’engraissent l’hiver. »

Benoît Contour

NB. Article publié dans Grands Troupeaux Magazine n° 74 (septembre 2019)

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