Avances d’aides Pac, dégrèvements sociaux et fiscaux, « suivi renforcé » des fourrages, dérogations réglementaires : les mesures gouvernementales sont jugées très insuffisantes par les éleveurs de ruminants.
Marc Fesneau, ministre de l’agriculture, et Bérangère Couillard, secrétaire d’État chargée de l’écologie, ont réuni le 22 août le comité de suivi de la sécheresse dans le monde agricole. A cette occasion, plusieurs mesures à court terme ont été présentées :
– La mobilisation du régime des calamités agricoles pour les cultures éligibles ;
– Le renforcement des avances versées dans le cadre de la Pac en octobre (les avances sur l’indemnité compensatoire de handicap naturel – habituellement à hauteur de 75% – seront versées à hauteur de 85% et les avances pour les aides découplées – habituellement à hauteur de 50% – seront versées à hauteur de 75%) ;
– La mobilisation des dispositifs de droit commun comme les exonérations de taxe sur le foncier non-bâti (dégrèvement opéré après détermination d’un taux de perte par zone géographique et par production sous la forme d’une diminution de la taxe due proportionnelle à la perte estimée) et de cotisations sociales (une enveloppe annuelle de 30 millions d’euros a d’ores et déjà été prévue : 15 millions à l’automne puis 15 millions au printemps) ;
– Une série d’adaptations mise en œuvre et demandée pour faire preuve de résilience face à la situation climatique comme des dérogations pour les cultures dérobées au niveau préfectoral, des ajustements des cahiers des charges pour les appellations d’origine contrôlée (AOP) ;
– Un suivi renforcé pour anticiper des potentielles difficultés, notamment dans les filières d’élevage avec, par exemple, la disponibilité en fourrage et en alimentation animale pour l’hiver.
BC
LES REACTIONS
« L’Etat doit tenir ses engagements » (FNB, FNPL, FNO, Fnec).
« A quelques jours des arbitrages gouvernementaux concernant les modalités d’indemnisation permises par les outils assuranciels et la solidarité nationale visant à mieux protéger les agriculteurs contre les risques climatiques, les éleveurs de bovins, d’ovins et de caprins, qui subissent actuellement les conséquences de l’épisode de sécheresse historique de cet été, rappellent leurs exigences. Des exigences qui correspondent, pour la plupart, aux engagements pris par l’Etat auprès d’eux à l’occasion du débat législatif sur ce sujet », écrivent la FNB, la FNPL, la FNO et la Fnec dans un communiqué commun du 5 septembre.
« C’est dans une réalité bien tangible que se concrétisera, dans les prochains jours, la réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture, engagée depuis plusieurs mois. Car les conséquences du « risque climatique », les éleveurs de ruminants les subissent, cette année encore, de plein fouet : la sécheresse qui vient de toucher toute la France se traduit, dans leurs élevages, par une forte baisse de production de lait et de viandes… mais aussi par une perte de fourrages qui devra être compensée par des achats supplémentaires, donc une explosion des charges. »
« Et malheureusement, les éleveurs de ruminants le savent bien : cette « double peine » – baisse de la production et augmentation des charges – infligée par la sécheresse, ils la subiront de plus en plus fréquemment. C’est la raison pour laquelle, plus que jamais, ils demandent à l’Etat de tenir ses engagements pour les armer face au changement climatique et leur permettre de maintenir, sur notre territoire, des exploitations d’élevage herbager et de polyculture-élevage, dont les atouts en matière de durabilité ne sont plus à démontrer. »
« C’est d’ailleurs avec la détermination de maintenir en vie ces systèmes de production durables, qui produisent de l’alimentation tout en façonnant des paysages et protégeant la biodiversité, que l’Etat avait fait des annonces fortes au printemps dernier, en insistant sur la nécessité de s’appuyer sur la « solidarité nationale » pour atteindre cet objectif. »
« Concrètement, les éleveurs de bovins, d’ovins et de caprins, demandent :
– Un déclenchement de l’assurance, pour la prairie, dès 20% de pertes constatées et une prise en charge à 70% par l’Etat du coût de l’assurance.
– Un déclenchement de la solidarité nationale, pour la prairie, dès 30% de pertes et une indemnisation au niveau maximal possible : 90% des pertes pour les assurés et de 45% des pertes pour les non assurés.
– Un recours possible aux expertises de terrain pour évaluer les pertes, à une heure où le manque de fiabilité des « indices » satellites pour refléter la réalité des situations est encore criant. »
« Au regard de l’accélération brutale de la baisse de production de lait et de viandes aggravée par la sécheresse de cet été, la prise en compte, par l’Etat, de l’ensemble de ces exigences est la seule réponse à même d’inciter les éleveurs à mieux se protéger contre les aléas climatiques, tout en tenant ses engagements politiques en matière de souveraineté alimentaire et de transition agroécologique. »
« Un infime début de réponse » (FNB, FNPL, FNO, Fnec)
« Les premières annonces d’avances de versement d’aides Pac de ce début de semaine ne constituent qu’ un infime début de réponse à l’ampleur de la catastrophe annoncée pour les éleveurs », écrivent la FNB, la FNPL, la FNO et la Fnec dans un communiqué commun du 25 août.
« C’est un épisode de sécheresse historique que subissent les éleveurs de bovins, d’ovins et de caprins depuis le début de l’été. Les pertes sont encore difficiles à chiffrer précisément mais seront colossales : selon les premiers calculs réalisés par le secteur, ce sont 2 à 4 milliards d’euros dont auront besoin les éleveurs pour compenser la perte de production et les achats futurs d’alimentation liés à la destruction de prairies et de cultures fourragères. »
« Les prairies brûlent et l’Etat ne devra pas regarder ailleurs. Du moins, pas si la France souhaite conserver une production de viandes et de produits laitiers de qualité, des paysages ouverts et des territoires ruraux attractifs. Car le risque de disparition des zones d’élevage de ruminants, en France, n’est plus une simple vue de l’esprit. La décroissance est en cours depuis plusieurs années et s’accélère brutalement depuis plusieurs mois, dans ce secteur. Notre pays a déjà perdu 24% de ses éleveurs de bovins, d’ovins et de caprins, depuis dix ans. »
« Avant même cette nouvelle sécheresse d’une ampleur inédite, les éleveurs de ruminants luttaient, déjà, contre l’un des grands fléaux de leur secteur : leur incapacité à répercuter sur leurs acheteurs la hausse continue des charges qu’ils subissent – accentuée par l’inflation actuelle –, pour obtenir une rémunération de leur travail. Alors, en dépit d’une demande constante en viandes et produits laitiers, nombre d’entre eux préfèrent aujourd’hui se détourner de ce métier. »
« C’est pourquoi l’explosion des charges des éleveurs attendue dans les prochains mois, pour maintenir en vie leur exploitation suite à la sécheresse de cet été, pourrait porter un coup fatal à l’élevage de ruminants. Dans la plus favorable des situations, les éleveurs n’auront d’autre choix que de vendre une partie de leur cheptel pour limiter leurs achats de fourrages. Autant d’animaux qui ne valoriseront plus les immenses surfaces en herbe qui font la beauté de nos paysages de campagne. »
« Face aux conséquences d’un tel phénomène pour tout une partie des territoires de l’Hexagone, le Gouvernement doit prendre rapidement la mesure de l’urgence de la situation et proposer aux éleveurs un soutien de l’Etat à la hauteur de cette urgence. Dans le cadre de ce plan, le Ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire doit notamment, sans plus attendre, déplafonner les seuils fixés dans les règles d’accès aux aides du régime des calamités agricoles : le seuil de 13% (de baisse de chiffre d’affaires à démontrer) doit être abaissé et celui de 28% (de pertes indemnisées) doit être très fortement augmenté. »
« Limiter la spéculation » sur les fourrages (FNSEA)
« Avec l’ensemble du territoire métropolitain impacté par le manque de précipitations et des températures caniculaires et subissant des restrictions d’usage, une sécheresse exceptionnelle touche une nouvelle fois l’activité agricole », écrit la FNSEA dans un communiqué du 22 août. « Face à l’urgence, la FNSEA avait appelé les pouvoirs publics à mettre en œuvre rapidement des mesures indispensables telles qu’une dérogation générale au semis des cultures dérobées et le déblocage d’aides en urgence permettant aux plus touchés des agriculteurs de passer le cap de la fin de cet épisode. »
« Au plan fiscal et social, la FNSEA demande une application collective, simplifiée et rapide des dégrèvements de la taxe foncière sur les propriétés non bâties ainsi qu’une prise en charge de cotisations sociales. »
« Concernant les calamités agricoles, il est urgent que chaque direction départementale des territoires se mobilise afin d’évaluer rapidement l’étendue des dégâts. Avec des conséquences qui s’annoncent d’ores et déjà historiques en particulier pour l’élevage et pour la production de maïs ou de sorgho non-irrigués, les comités d’expertise départementaux doivent être mobilisés dans les plus brefs délais. L’objectif est d’activer, pour les pertes éligibles, le fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA). Un premier point de situation devra être réalisé lors d’un comité national de gestion des risques en agriculture (CNGRA) dont nous demandons la réunion au plus vite ; un calendrier adapté permettant le versement rapide de premiers acomptes doit en ressortir. »
« Pour répondre aux besoins fourragers et limiter la spéculation tarifaire, un plan d’urgence permettrait de moraliser et de faciliter l’approvisionnement des éleveurs. Placé sous l’autorité des préfets, ce plan garantirait une meilleure fluidité entre l’offre et la demande et bénéficierait d’un soutien public de l’Etat et des collectivités territoriales. »
« Faire face à l’urgence de la situation est indispensable, mais insuffisant, tant se fait sentir le besoin de mesures de fond. Les épisodes de sécheresse se répètent désormais d’année en année et les agriculteurs sont les premiers témoins et victimes des conséquences du changement climatique. Ainsi, face à la sécheresse, une solution réside dans le stockage hivernal de l’eau et la sécurisation de son approvisionnement. L’Etat doit mettre en œuvre tous les moyens pour aboutir à la réalisation effective d’ouvrages de stockage et simplifier les procédures d’instruction. Tout doit être mis en œuvre pour conforter la résilience de nos exploitations et poursuivre l’adaptation des pratiques agricoles conformément aux engagements pris dans le cadre du Varenne agricole de l’eau et du changement climatique. »
« Enfin, l’avenir repose désormais sur le développement d’outils de type assurantiels garantissant une réparation financière rapide adaptée aux besoins de chacun. C’est tout le sens de la réforme qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2023 et pour laquelle nous demeurons extrêmement attentifs. Des critères fixés au démarrage dépendra la réussite ou non de la réforme de la politique de gestion des risques ! », conclut la FNSEA.
« Des annonces déconnectées de la situation » (CR)
« Si le Gouvernement a répondu positivement à certaines des demandes de la Coordination Rurale (CR) : déploiement rapide du régime des calamités agricoles, ou encore, le dégrèvement de la taxe sur le foncier non-bâti (TNFB), le syndicat estime, dans un communiqué du 23 août, qu’on est très loin du compte ! »
« Le ministre répond à cette situation inédite par des « mesurettes ». Nous avons demandé la prise en charge des cotisations sociales et il n’annonce qu’un report ! Pour pouvoir les payer l’année prochaine, il va falloir que les revenus agricoles augmentent de façon significative ! C’est comme nous proposer une avance de 85 % de la Pac, il n’y pas d’effort réalisé. D’autant que, cette année, la Pac est déjà consommée par les factures de l’an dernier. Entre les montants élevés des charges et les aléas climatiques, les agriculteurs sont pris en étau », indique Natacha Guillemet, éleveuse en Vendée et représentante de la CR.
« Concernant les couverts végétaux réglementaires, le ministre annonce du cas par cas selon le choix des départements. Les CR départementales sont d’ores et déjà à pied d’œuvre pour rencontrer les préfets afin de dresser un état des lieux et demander à assouplir les contraintes administratives. »
« Pendant le Covid, le Gouvernement a été capable, avec le « quoi qu’il en coûte », de sauver certaines entreprises. Aujourd’hui, si l’on veut réellement tendre à une souveraineté alimentaire, ce sont des mesures d’urgence beaucoup plus ambitieuses (année blanche, exonération totale des charges) qu’il convient de mettre en place. En ce sens, la CR attend beaucoup du prochain rendez-vous ! La crise n’est pas uniquement conjoncturelle, mais bien structurelle. Elle ne se réglera pas par d’épisodiques et menus cadeaux, mais par des prix rémunérateurs et une baisse des charges sollicitée par la CR à travers sa proposition de TVA sociale. »
« Penser plus loin… » (Modef)
« La menace du changement climatique n’est pas un fantasme, mais une dure réalité pour les agriculteurs de France, notamment les éleveurs », écrit le Modef dans un communiqué du 31 août. « En Creuse, le déficit pluviométrique est de -20% à ce stade pour le mois d’août, en particulier dans le nord-ouest du département (-50%), sur le plateau de Gentioux et le secteur d’Aubusson. Depuis le début de l’année, 7 mois ont été en déficit hydrique vis-à-vis des normales saisonnières, et l’assèchement des sols est plus marqué avec des températures records, hissant tristement le mois d’août 2022 en 2e position derrière 2003 des mois d’août les plus chauds connus de l’histoire du département. »
« À ce jour, 93 départements sont concernés par une restriction au-delà de la vigilance, sur au moins une partie du territoire : 3 en vigilance, 2 en alerte, 12 en alerte renforcée et 79 en crise. La quasi-totalité des acteurs du territoire français – notamment des agriculteurs – a donc vu ses prélèvements en eau fortement régulés ou interdits. Les cultures de maïs sont parmi les plus touchées, ainsi que les surfaces enherbées. L’assèchement total ou partiel de nombreux cours d’eau a obligé de nombreux éleveurs à mettre en place un abreuvement des animaux par citernes. La Creuse est fortement touchée par cela. »
« Devant ce constat, le Modef demande, de toute urgence, la mise en œuvre de mesures à la hauteur des sinistres subis et à venir, ainsi qu’une réforme plus juste du système assurantiel, afin de recouvrer la souveraineté alimentaire dans notre pays. Ainsi, il est urgent de :
– redéfinir le mode de calcul des indemnités calamités pour la période 2022 incluse, car la moyenne quinquennale sur laquelle s’appuient les calculs empêche souvent le déclenchement du FNGRA pour les secteurs d’élevage ;
– créer un système assurantiel unique, géré par l’État, et assisté dans sa gouvernance par les syndicats et interprofessions. Les agriculteurs, les acteurs de l’amont et de l’aval, l’État, et l’Europe prendraient en charge 25% du financement chacun. Rendre cette assurance obligatoire, à la condition stricte de créer un fonds d’aide, permettant de prendre en charge les cotisations d’agriculteurs en difficulté ne pouvant pas s’assurer ;
– indemniser les dommages à 90 % des pertes subies ;
– Étendre cette assurance aux épisodes sanitaires.
Le Modef appelle à une refonte – avant mise en œuvre – de la réforme sur l’assurance agricole (MRC), ceci afin de sauvegarder les petites et moyennes exploitations. L’agriculture a de plus vastes desseins que ceux de servir aux profits des entreprises d’assurances. Nourrir notre population aujourd’hui et demain, c’est repenser un modèle socialement juste et partagé, notamment en matières agricoles. »
A télécharger :
Guide de l’abreuvement (Assecc, 7 sept. 2022)
Bulletin hebdomadaire des filières ruminants (Interbev, 7 sept. 2022)
Les abattages bovins toujours en repli (ministère de l’agriculture, 2 sept. 2022)
Note de conjoncture sur les viandes rouges (FranceAgriMer, 29 août 2022)
Prévisions de récoltes d’été (Commission européenne, 22 août 2022 – en anglais)