Pendant plusieurs années, Michel Welter a porté la ferme des 1000 vaches. Cet ancien éleveur est désormais consultant et intervient en Afrique et dans le Moyen-Orient. Il revient sur l’évolution de la production laitière mondiale et l’apparition de projets laitiers dans le monde.
« La taille du cheptel laitier européen diminue inexorablement. Il en est de même pour le niveau de production laitière qui s’érode peu à peu, d’année en année. En France, malheureusement, nous n’échappons pas à cette tendance. Pourtant, à l’échelle mondiale, la consommation en produits laitiers ne cesse de croître. Avec la hausse du niveau de vie, dans des pays comme la Chine ou l’Inde par exemple, les consommateurs achètent de plus en plus de produits laitiers. J’interviens, pour ma part, dans des pays comme l’Algérie ou Madagascar où l’on voit que la tentation est grande de ne plus acheter du beurre ou de la poudre au cours mondial. Ces états subissent de plein fouet la fluctuation des cours. Aussi, ils réfléchissent à développer leur production pour se prémunir de la hausse des cours. Leur raisonnement est légitime. Toutefois, à l’échelle de la planète, si l’on se place sur le plan écologique, on peut se demander quel est l’intérêt de développer la production laitière dans les zones arides ou semi-désertiques, ou de monter des élevages hors-sol nourris exclusivement avec des aliments déshydratés produits à des centaines voir des milliers de kilomètres de l’élevage ? Cela n’a pas beaucoup de sens.
A contrario, le lait produit en Europe et notamment en France présente d’incomparables avantages environnementaux. Dans l’Hexagone, les fourrages poussent sans trop de difficulté avec un bilan carbone et environnemental plus que satisfaisant. Le bien-être animal est lui aussi respecté.
Pour faire face à la demande mondiale, la maîtrise du coût de production de l’ensemble de la filière laitière reste déterminant. S’il y a de la place pour le lait produit à l’herbe, pour les filières qualité, ainsi que pour la filière bio, il y a aussi un réel besoin en lait plus “standard”, issu d’un élevage plus intensif. Et c’est là que l’élargissement des cheptels reste essentiel. En France, nous refusons d’entendre que c’est une voie pour réduire les coûts de production. On remet en cause les économies d’échelles générées par les grands troupeaux alors que d’autres pays les ont intégrées. Autre constat, nous avons un sérieux problème d’évaluation de nos coûts alimentaires. Si celui des concentrés est précis et facile à mesurer, nous avons une sérieuse tendance à sous-estimer le coût des fourrages. Le travail, le matériel, le prix de la terre, tout ceci est négligé et au final, notre approche est faussée et légitime quasi exclusivement les élevages herbagers. Cette approche donne un avantage au pâturage pour des raisons idéologiques et non économiques. Ensuite, si l’on se place sur le plan de l’émission des gaz à effets de serre et du méthane, nous devons également constater qu’une laitière haute productrice émet moins de méthane au litre de lait qu’une vache produisant peu. Tout ceci montre que l’élevage dit “intensif” est loin de ne présenter que des inconvénients !
On sacrifie l’élevage pour une vision romantique du monde rural
De manière générale, les calculs économiques ne prennent jamais en compte le coût de la main-d’œuvre. Au final, il est impossible de se comparer aux autres professions et cela ne contribue pas à donner une bonne image de notre profession. Ces erreurs de calcul sont validées par le syndicalisme agricole, les milieux politiques et jusqu’au ministère de l’agriculture qui reste sous tutelle du ministère de l’environnement. Ces choix sont de nature idéologique et coûtent cher au monde agricole. Nous avons les capacités d’être une grande puissance alimentaire mais, au final, une grande partie de notre potentiel est sacrifié au profit du tourisme, de l’entretien du paysage. On ne plébiscite que le modèle herbager. On sacrifie l’élevage pour une vision romantique du monde rural. Nous sommes en train de louper un virage. Je ne suis pas en train de dire qu’il ne faut que des grands troupeaux mais que leur place doit être renforcée. Par ailleurs, on voit bien que la vision politique est assez court-termiste. La Pac a instauré des jachères depuis les années 90 et là, avec la crise ukrainienne, en 30 secondes, on a autorisé leur culture… »
Propos recueillis par Erwan Le Duc