L’agriculture bio un enjeu trop politique et trop symbolique

Depuis les années 1980, le soutien à l’agriculture biologique s’est progressivement inscrit dans un mouvement plus large de régionalisation des politiques agricoles en Europe. Si la dynamique a pris des formes différentes en Allemagne et en France, elle a conduit dans les deux pays à faire émerger les Régions et les Länder comme des acteurs incontournables du développement de l’agriculture biologique. Léa Sénégas de Sciences Po Paris a publié une étude sur ce sujet au sein d’ Agreste. 

En Allemagne, les Länder disposent depuis longtemps de larges prérogatives en matière agricole. Dès les années 1980, ils soutiennent activement la recherche et le conseil, posant les bases d’une politique régionale structurée en faveur de l’agriculture biologique. En France, la centralisation demeure plus marquée. Les Régions ne se voient confier un rôle agricole qu’après les lois de décentralisation adoptées entre 1982 et 1984 et elles commencent à financer l’agriculture biologique dans les années 1990. Le transfert de la gestion du FEADER, intervenu en 2003 en Allemagne et en 2014 en France, marque un tournant en donnant aux collectivités régionales de véritables leviers financiers. Au cours des années 2000, les budgets consacrés à l’agriculture biologique augmentent de manière significative, souvent en lien avec des majorités politiques favorables, notamment lorsque des coalitions de gauche ou des élus écologistes participent au pouvoir.

La mise en œuvre des soutiens repose en grande partie sur les instances professionnelles agricoles, en particulier les chambres d’agriculture et les syndicats majoritaires. Toutefois, des structures alternatives se développent en parallèle. En France, les fédérations régionales d’agrobiologistes gagnent en influence, tandis qu’en Allemagne ce sont des associations de producteurs bio qui se structurent. Dans plusieurs territoires, les autorités régionales délèguent la gestion de leurs dispositifs à ces organisations, ce qui suscite parfois des tensions. La situation bretonne illustre ce phénomène avec le rôle de la FRAB, tout comme les conflits entre producteurs observés en Auvergne ou encore la concurrence des marques privées en Basse-Saxe.

À partir des années 2000, l’essor de l’agriculture biologique attire également des acteurs issus de l’agriculture conventionnelle. Cette ouverture alimente un débat sur son orientation et sur le modèle à promouvoir. D’un côté, les chambres d’agriculture et les syndicats majoritaires considèrent l’agriculture biologique comme un outil parmi d’autres pour verdir l’agriculture existante. De l’autre, les organisations spécialisées dans le bio défendent une approche plus radicale qui fait de l’agriculture biologique une véritable alternative au modèle dominant. Ces visions divergentes trouvent un écho direct dans les assemblées régionales. La droite conservatrice et les libéraux expriment le plus souvent une attitude réservée, voire hostile. La gauche modérée soutient une diversification progressive du système agricole. Les écologistes et la gauche radicale défendent avec vigueur l’agriculture biologique en invoquant les enjeux environnementaux et sanitaires.

Alternances politiques et manque de continuité

Les alternances électorales se traduisent par des changements concrets dans les budgets, les instruments et les partenariats. L’exemple auvergnat illustre bien cette dynamique, avec un soutien renforcé sous la gauche puis un recentrage conventionnaliste après 2016 lors de la création de la région Auvergne Rhône Alpes.

La régionalisation a ainsi transformé l’agriculture biologique en un enjeu à la fois politique et symbolique au niveau territorial. Les Régions et les Länder occupent désormais une place centrale, même si leurs marges d’autonomie et leurs moyens humains demeurent limités. L’agriculture biologique devient un levier permettant aux collectivités de différencier leurs politiques, ce qui met en évidence des disparités territoriales marquées et rappelle qu’il n’existe pas de politique agricole totalement uniforme à l’échelle européenne.

Erwan Le Duc

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