Le secteur laitier canadien représente une composante essentielle de l’agriculture nationale. En 2023, il générait 9 % des revenus agricoles et comptait près de 9 500 producteurs. Bien que la productivité des fermes ait augmenté au fil du temps, la taille moyenne des troupeaux reste modeste pour le continent américain, avec environ 103 vaches par exploitation. Le Québec se démarque comme première province laitière, assurant à elle seule 37 % des livraisons nationales.
Depuis la fin des années 1960, la production laitière au Canada est encadrée par un système de gestion de l’offre. Ce modèle vise à équilibrer la production avec la demande intérieure, grâce à l’établissement de quotas de production, au contrôle des importations et à une fixation des prix à la production par la Commission canadienne du lait (CCL). Ce système assure aux producteurs un revenu stable, calculé selon les coûts réels de production et l’inflation. Pour autant, il n’a pas empêché l’érosion du nombre d’exploitations. En 1980, le Canada comptait 55 000 élevages laitiers contre 10 095 en 2020 et environ 9500 en 2025.
Les produits laitiers sont commercialisés de façon collective à l’échelle provinciale. Les revenus issus des ventes sont mutualisés, assurant une rémunération équitable aux producteurs, quel que soit l’usage final du lait. De même, les frais de transport sont péréquatisés entre les fermes, ce qui permet de maintenir une répartition géographique équilibrée de la production sur le territoire.
Les quotas représentent 50 % du prix d’acquisition d’une ferme
Cependant, le système présente certaines limites. Le coût des quotas représente une charge importante, en particulier pour les jeunes producteurs. Au Québec, par exemple, le quota représentait en 2014 plus de la moitié du coût d’acquisition d’une ferme. Si un prix plafond a été instauré dans certaines provinces pour encadrer leur valeur, ce n’est pas le cas partout, notamment dans l’Ouest canadien où les prix peuvent atteindre jusqu’à 50 000 $/kg de matière grasse par jour.
Par ailleurs, le système est parfois accusé d’entraîner des prix plus élevés pour les consommateurs, ce qui soulève des inquiétudes quant au pouvoir d’achat des ménages à faible revenu. Toutefois, plusieurs études nuancent cet impact en rappelant que d’autres facteurs, comme les coûts logistiques ou les fluctuations du taux de change, influencent également les prix des produits alimentaires.
Les quotas sous pression
Depuis les années 1990, l’ouverture progressive du Canada au commerce international a introduit de nouvelles tensions. La signature de plusieurs accords de libre-échange, notamment avec l’Union européenne, les pays du Partenariat transpacifique et les États-Unis, a accru les importations de produits laitiers, réduisant d’autant les marges de croissance pour la production nationale. Les quotas doivent désormais intégrer ces importations, ce qui limite les possibilités d’agrandissement pour les fermes canadiennes. De plus, les exportations sont désormais restreintes par des accords comme l’ACEUM, qui impose des plafonds aux volumes exportés de certains sous-produits laitiers.
Dans ce contexte, les producteurs font face à un double défi : maintenir la stabilité de leur revenu dans un marché de plus en plus ouvert, tout en répondant aux attentes croissantes de la société. Depuis les années 2000, les consommateurs expriment de nouvelles exigences liées au bien-être animal, à l’environnement ou à la durabilité des pratiques agricoles. Dans un marché classique, ces enjeux auraient été intégrés par les transformateurs via des cahiers des charges. Mais dans le système canadien, où les transformateurs ne contractent pas directement avec les producteurs, ce sont les offices de commercialisation qui doivent porter collectivement ces nouvelles responsabilités. Le secteur laitier canadien se trouve ainsi à la croisée des chemins : il doit préserver un modèle qui a garanti la stabilité et la viabilité des exploitations pendant plus de cinquante ans, tout en s’adaptant aux pressions économiques internationales et aux attentes sociétales contemporaines.