« Réorienter les aides aux ruminants »

L’Inrae et AgroCampus Ouest viennent de tester les scénarios envisagés pour la Pac 2023. Un éclairage sur l’avenir qui se lit aussi comme une mise en accusation des décennies écoulées.

Ce rapport (1) « analyse la sensibilité des revenus à différents scénarios de réorientation des aides directes de la Pac en considérant deux types de mesures. Les premières ont pour objectif de modifier la répartition des aides directes et des revenus : sont alors simulés les impacts sur les revenus d’un dispositif en faveur des petites fermes, de modalités alternatives de versement des aides couplées aux exploitations de bovins-viande et bovins-lait, de la convergence interne intégrale du paiement de base, et d’un renforcement du paiement redistributif sur les premiers hectares. Les deuxièmes mesures poursuivent des objectifs climatiques et environnementaux dont il s’agit aussi d’examiner les conséquences sur les revenus : sont alors analysés deux scénarios correspondant, d’une part, à un transfert de 15% de l’enveloppe budgétaire du premier pilier vers des mesures climatiques, environnementales et de soutien à l’agriculture biologique dans le deuxième pilier, et, d’autre part, à un éco-régime ciblé sur le maintien des prairies permanentes et la réduction des usages de pesticides. »

« Supprimer les aides couplées aux ruminants »

Le rapport consacre 4 pages (22 à 25) à la réorientation des aides couplées aux productions bovines, dont le principe est soutenu par le ministre de l’agriculture, Julien Denormandie. Les auteurs n’y vont pas par quatre chemins, évoquant « le consensus des économistes quant à l’inefficacité de ce type d’aides. Au-delà des inefficacités génériques liées aux coûts d’instauration, d’administration et de contrôle des bénéficiaires, les aides couplées ont des effets distributifs entre les acteurs de la filière qui réduisent l’efficacité du transfert en faveur du revenu des exploitations agricoles. Cela est dû à des fuites du soutien public vers les fournisseurs et les clients de ces exploitations, au travers de l’ajustement des prix (…) Sur les données de panel du Rica (2) italien pour la période 2008 à 2014, Ciliberti et Frascarelli (2018) montrent que les aides couplées animales et végétales avaient eu un effet négatif sur le revenu des exploitations agricoles, alors que les aides découplées avaient eu un effet positif se retrouvant à près de 100% dans le revenu agricole. »

« Les aides couplées aux productions animales peuvent également être critiquées sur la base d’arguments complémentaires. Elles ne constituent pas des incitations à maximiser les performances zootechniques des animaux et des troupeaux et la productivité globale des facteurs de production (…) Dans cette perspective , une priorité est de supprimer les aides couplées aux productions de ruminants qui ont des effets pervers sur les productivités et les résultats économiques (via, en particulier, la baisse des prix à la production que ce mode de soutien induit), et d’octroyer les sommes ainsi économisées aux éleveurs impactés sur la base de critères climatiques et environnementaux, différenciés selon les territoires de façon à encourager les changements dans les zones où ils sont les plus nécessaires (zones de plaine), et en augmentant les exigences écologiques dans les zones où les alternatives à l’herbe sont rares et difficiles (zones à contraintes et de montagne). »

L’aide à l’UGB favorable au lait

Une suppression pure et simple des aides couplées bovines se traduirait, selon le rapport, par un repli de l’ordre de 2 700 € par an du revenu des exploitations laitières (-6%), et une perte moyenne supérieure à 10 000 € par an en élevage allaitant (-51%). La réorientation des aides bovines existantes vers une aide à l’UGB (unité gros bétail) profiterait aux élevages laitiers (+ 3 800 €/an), au détriment des exploitations allaitantes (- 3 850 €/an). Leur réorientation vers les surfaces fourragères principales ou les surfaces de prairies permanentes resterait favorable aux élevages laitiers, mais dans de moindres proportions.

La convergence favorable aux bovins viande

« La convergence interne intégrale du paiement de base par hectare induirait une redistribution des soutiens budgétaires défavorable aux cultures annuelles (céréales, oléo-protéagineux et autres grandes cultures) et aux bovins laitiers, et favorable aux élevages spécialisés de bovins-viande, d’ovins et de caprins . Les pertes et les gains mesurés en euros par exploitation seraient modestes, et les pertes d’autant plus élevées que la taille en hectares de l’exploitation est grande. Par contraste, une mise en œuvre plus ambitieuse du paiement redistributif sur les premiers hectares, via l’augmentation des fonds consacrés à la mesure (100 euros par hectare éligible au lieu de 50 euros) et, dans une moindre ampleur, la baisse du seuil de surface (30 hectares au lieu de 52 hectares), serait défavorable à toutes les exploitations de très grande taille (supérieure à 200 hectares), quelle que soit leur orientation productive, au bénéfice de toutes les structures de taille inférieure à 100 hectares et avec des effets contrastés pour les unités comprises entre 100 et 200 hectares selon leurs choix productifs. »

BC

(1) « La sensibilité du revenu des exploitations agricoles françaises à une réorientation des aides dans le cadre de la future Pac post-2023 », Inrae/AgroCampus Ouest, 66 pages, avril 2021

(2) Réseau d’information comptable agricole

A télécharger : Incidence de la Pac sur la viabilité de la production agricole (Commission européenne, 12 mai 2021)

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