Agrivoltaïsme : c’est parti

Le décret relatif au développement de l’agrivoltaïsme retient une limite de 40 % de taux de couverture des sols.

Le décret n° 2024-318 du 8 avril 2024, « relatif au développement de l’agrivoltaïsme et aux conditions d’implantation des installations photovoltaïques sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers », a été publié le 9 avril au Journal officiel. « Ce décret pose le cadre de deux activités : 1) l’agrivoltaïsme, qui désigne des installations associées à des pratiques agricoles (culture ou élevage), permettant le maintien de la production et apportant un bénéfice agronomique ; et 2) le développement de projets photovoltaïques au sol sur terrains agricoles, naturels ou forestiers, qui ne sera quant à lui possible que dans des zones incultes ou non-cultivées », précise un communiqué commun des ministères de l’économie, de l’agriculture, de la transition écologique, de l’industrie et de l’énergie.

Agrivoltaïsme

« L’agrivoltaïsme implique de donner, sur les terrains exploités, la priorité à la production agricole sur la production d’énergie. C’est la raison pour laquelle les acteurs locaux réunis au sein de la Commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) seront mobilisés pour analyser les projets et retenir les meilleurs pour l’agriculture, au travers d’un avis conforme devant être suivi par les services de l’Etat et nécessaire à tout projet agrivoltaïque. »

« De même, une limite de 40 % de taux de couverture des sols par les installations agrivoltaïques est posée, pour limiter les risques de baisse des rendements. En pratique, le maintien de la production agricole sera contrôlé et mesuré par différents moyens par les Directions départementales des territoires (DDT), dont la comparaison aux rendements observés sur des parcelles témoin. »

« Le décret précise à cet égard que le rendement agricole doit être maintenu pour l’ensemble de l’installation agrivoltaïque. Dans le cas des cultures par exemple, la production doit être au moins égale à 90 % de celle observée dans une parcelle témoin. Ce critère fera l’objet de contrôles spécifiques auprès des porteurs de projet, et les sanctions en cas de non-respect pourront aller jusqu’au démantèlement de l’installation en question avec remise en état de la parcelle. En cas de fraude avérée, la suspension ou la résiliation du contrat de rachat de l’électricité pourra aussi être mise en œuvre. Un arrêté ministériel en consultation jusqu’au 5 avril précisera dans les prochaines semaines les modalités de contrôle des installations. »

« Le développement de l’agrivoltaïsme doit répondre à une démarche scientifique rigoureuse. Dès lors que la démonstration sera faite de la compatibilité entre un type de culture, un type de sol et une technologie, le déploiement de cette technologie sera facilité. Ces technologies dites éprouvées seront définies par arrêté ministériel, sur proposition de l’Ademe », précise le communiqué du gouvernement.

Photovoltaïque au sol

« Le décret prévoit que le photovoltaïque au sol ne sera possible que dans des espaces clairement définis par les Chambres d’agriculture, au travers de « documents cadres ». Ceux-ci devront intégrer les terrains incultes, les terrains non-exploités depuis 10 ans ou plus, ainsi que des parcelles réputées propices à l’accueil de tels projets (friches industrielles, anciennes carrières, plan d’eau, etc.). Ces dispositions permettent de s’assurer qu’un terrain récemment cultivé ne pourra pas être transformé en champ photovoltaïque au sol. »

BC

LES REACTIONS

« Un décret qui préserve la souveraineté alimentaire » (FNSEA)

« Le décret d’application de la loi d’Accélération des Energies Renouvelables (AER) est enfin paru au Journal Officiel. Il précise le cadre pour un développement raisonné de l’agrivoltaïsme. C’est le fruit d’un travail conduit depuis plus d’un an par la FNSEA auprès des pouvoirs publics.

Très attendu par les agriculteurs, ce texte fondamental concilie le déploiement de l’agrivoltaïsme dans le respect de notre souveraineté alimentaire. Il précise l’application des critères permettant de garantir le maintien d’une activité agricole sous les installations photovoltaïques et met fin aux projets dits « alibis ». Il définit les co-bénéfices, limite la perte des rendements en plafonnant le taux d’occupation des sols à 40 % et érige des mécanismes de contrôle et de sanction cohérents.

La FNSEA, pour qui l’installation d’équipements photovoltaïques sur les toitures demeure une priorité, se réjouit que soient désormais interdites les installations photovoltaïques au sol sur les terres d’agriculteurs en exploitation. Non, les cultures, prairies et élevages ne seront pas remplacés et dégradés par des panneaux solaires.

Nous appelons dès maintenant le Gouvernement à finaliser au plus vite le projet d’arrêté en y inscrivant un dispositif clair, précis et quantifiable quant aux critères de contrôle, en particulier pour les élevages.

En parallèle, la FNSEA poursuit son travail sur deux sujets primordiaux pour le développement de la filière agrivoltaïque dont les règles fondamentales sont désormais posées : la mise en place d’un bail rural adapté aux nouveaux enjeux et le partage de la valeur afin que la contribution des agriculteurs à la transition énergétique soit pleinement valorisée. »

« L’Inrae n’a pas été entendu » (JA)

Jeunes Agriculteurs « prend acte », dans un communiqué du 17 avril, de l’adoption d’un cadre national sur l’agrivoltaïsme. « La parution de ce décret nous oblige cependant à rester vigilants. Nous demandons à ce que l’arrêté sur le contrôle et les sanctions des installations agrivoltaïques et photovoltaïques soit publié rapidement et soit suffisamment dissuasif pour sanctionner les projets alibis. En effet, les sanctions devront être suffisamment fortes et rapides à mettre en œuvre pour dissuader les porteurs de projets opportunistes, qui dévoient l’agrivoltaïsme au seul service d’intérêts financiers. Nous rappelons également la nécessité de pouvoir compléter le décret par des chartes départementales, à l’initiative des représentants agricoles locaux. »

« Jeunes Agriculteurs regrette toutefois que la position de l’Inrae n’ait pas été entendue, la limite de taux de couverture au sol de 40 % permettant des projets qui pénaliseront excessivement la productivité agricole. Nous appelons à respecter le seuil de 10 % de perte de rendement maximum autorisés. En l’état actuel des technologies agrivoltaïques, les projets au-delà d’un taux de couverture de 25 % ne nous semblent pas devoir recueillir un avis favorable en CDPENAF puisqu’ils engendrent des pertes de rendement nettement supérieur à 10 %. Notre réseau et nos représentants seront donc particulièrement présents aux CDPENAF, pour ne retenir que les projets vertueux, garantissant le maintien d’une production agricole significative. En ce sens, nous demandons à ce que l’observatoire des énergies renouvelables et de la biodiversité, censé apporter l’expertise d’un retour d’expérience précis et exhaustif, soit rapidement mis en service. »

« Jeunes Agriculteurs reste force de proposition et s’inscrit déjà dans le travail de la future proposition de loi transpartisane sur le partage de la valeur de la production d’énergie verte dans les territoires, qui sera porté cet été par le député Pascal Lecamp (Modem, Vienne). Nous insistons sur l’importance d’une répartition juste et équitable des bénéfices de la production d’énergie en agriculture, qui doit irriguer l’ensemble des agriculteurs et des filières. La rente tirée des énergies ne saurait être préemptée par quelques-uns. Enfin, nous appelons à un travail sérieux pour sécuriser la relation entre les énergéticiens, les agriculteurs et les propriétaires, tout en respectant le statut du fermage », conclut JA.

Un manque d’indicateurs en élevage (Chambres d’agriculture)

« Chambres d’agriculture France salue la publication du décret d’application de la loi APER (loi sur l’accélération de la production d’énergies renouvelables) relatif au développement de l’agrivoltaïsme et aux conditions d’implantation des installations photovoltaïques sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers, qui permettra la mise en place d’une régulation effective. »

« Dès novembre 2023, le réseau des Chambres d’agriculture a partagé sa vision du développement de l’agrivoltaïsme en se dotant d’une doctrine nationale, déclinée au niveau départemental. Via les CDPENAF (commissions de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers), ce décret fera des Chambres d’agriculture les acteurs clés d’un développement progressif et raisonné de l’agrivoltaïsme, au service de l’agriculture et de l’amélioration des revenus de chaque exploitation. »

« Chambres d’agriculture France se félicite que le décret consacre le maintien d’un minimum de 90 % du rendement des cultures sous installations agrivoltaïques mais déplore l’absence d’indicateurs quantitatifs à même d’encadrer les projets agrivoltaïques en élevage. »

« Quant aux conditions d’implantation des installations photovoltaïques au sol sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers, Chambres d’agriculture France prend acte de la responsabilité qui est confiée aux Chambres d’agriculture de proposer dans chaque département un document-cadre dans un délai de 9 mois. Pour répondre à cet enjeu, le réseau des Chambres d’agriculture travaille depuis plusieurs mois à l’élaboration d’une méthodologie cartographique et agronomique. Les chambres d’agriculture veilleront avec les collectivités à ce que l’occupation des terrains par les panneaux photovoltaïques n’oblige pas à prélever d’autres terrains agricoles pour des projets (comme les zones d’activités) faute de disponibilité. »

« Face aux enjeux de la souveraineté alimentaire et de la nécessité de produire de la biomasse renouvelable pour décarboner notre consommation énergétique, il est primordial que l’implantation des installations photovoltaïques au sol ne puisse se faire au détriment de la production agricole », conclut Sébastien Windsor, président de Chambres d’agriculture France.

La Confédération paysanne prépare un recours contre le décret

« Le décret destiné à encadrer l’installation de panneaux solaires sur terres agricoles, naturelles et forestières, via notamment le concept d’agrivoltaïsme, a été publié ce matin. La teneur de ce décret confirme toutes les mises en garde émises par la Confédération paysanne lors des débats sur la loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables. Par ce texte, le gouvernement fait même tomber les rares garde-fous instaurés par le législateur pour préserver les paysan.nes et le foncier de l’appétit des énergéticiens. Il confirme le fait que l’installation de panneaux photovoltaïques au sol représente une menace pour notre souveraineté alimentaire. »

« Par exemple, la loi prévoit que l’agrivoltaïsme garantisse aux paysannes et paysans une production agricole significative alors que le décret accepte une baisse de production pouvant atteindre 10 % sous les panneaux. Et alors que le gouvernement fait miroiter la possibilité d’un revenu durable issu d’une production agricole sous panneaux, le décret considère qu’un revenu est durable s’il n’est pas inférieur… au revenu moyen des années précédentes. Or, on est loin de pouvoir affirmer que le revenu agricole actuel est durable ! »

« En outre, la définition des services que l’agrivoltaïsme doit rendre aux parcelles agricoles est une fumisterie. Pour satisfaire ces critères, il suffira à l’énergéticien de prouver qu’un panneau génère davantage d’ombre que… rien du tout. Pourtant, les arbres, les haies, et l’agroforesterie fournissent déjà de l’ombre aux animaux et aux cultures. Autre exemple, alors que selon la loi les panneaux permettraient l’adaptation au changement climatique, le décret considère qu’une baisse tendancielle de production est une preuve de cette adaptation. Et lorsque le texte estime que couvrir plus de 40% d’une surface agricole (1) avec des panneaux est un avenir désirable, nous affirmons que c’est autant d’autonomie qui est enlevée aux paysannes et paysans et à la production alimentaire de la France. »

« Pire, le gouvernement n’a même pas tenu compte des missions foncières qu’avait confiées la loi au décret, qui devait encadrer l’agrivoltaïsme en s’appuyant notamment sur « le strict respect des règles qui régissent le marché du foncier agricole » et « la politique de renouvellement des générations ». Rien n’apparaît dans le décret à ce sujet, bien au contraire. »

« Nous rappelons notre combat contre l’utilisation des terres agricoles, naturelles et forestières pour la production d’énergie photovoltaïque (2), et ce d’autant plus que l’installation de panneaux sur les toitures et les surfaces déjà artificialisées permettra de dépasser les objectifs de la France en matière de production d’énergie photovoltaïque. La Confédération paysanne prendra ses responsabilités et déposera un recours contre ce décret, afin de contraindre le gouvernement à revoir sa copie. »

(1) Selon l’Inrae, un taux de couverture de 40 % engendrerait une baisse de rendement moyenne de 38 %. Le décret permet même à des « technologies agrivoltaïques éprouvées », ainsi qu’à toutes les installations de moins de 10 MWc (soit environ 10 ha !), de dépasser ce plafond (note de la Confédération paysanne).

(2) Voir la tribune « Photovoltaïque sur des terres naturelles, agricoles ou forestières : nous ne tomberons pas dans le panneau ! » cosignée par la Confédération paysanne et plus de 350 organisations (note de la Confédération paysanne).

A lire également : « L’INRAE n’a pas été entendu » (JA, 17 avril 2024)

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