Une production divisée par deux en sept ans !

 À Crévin, en Ille-et-Vilaine, les courants vagabonds polluent l’exploitation laitière de Pascale et Philippe Durand. Le couple associe leur présence à la mise en route, en avril 2017, d’un parc éolien situé à environ 1,3 km de la ferme.

 « Je n’accepte plus », murmure Pascale Durand. « Mes vaches sont amaigries. Elles ne s’abreuvent plus. La situation a empiré cet hiver ». Trop d’humidité et trop de vent font l’inconfort des bêtes. Celles restées en bâtiment meuglent, lèvent les pattes, reculent devant un abreuvoir qui a pourtant été déplacé sur les conseils d’un expert électricien. Les derniers chiffres traduisent l’état de dégradation du cheptel. La production laitière est tombée à 13 litres par vache en janvier 2024, contre 32 litres en 2016. Le dernier relevé du contrôle laitier fait état de 902 000 cellules. « Je me sens impuissante. À moins de tout vendre, je n’ai plus de solution ». « Entre 2016 et février 2024, la production laitière a chuté de moitié alors que la conduite d’élevage n’a pas changé et que la ration couvre les besoins des vaches », constate Lucille Noyeries, conseillère d’élevage. « Le taux cellulaire a augmenté mais les analyses du lait ne montrent rien au niveau bactériologique. L’hygiène de traite est respectée et l’aire paillée est saine ». La situation est peut-être liée à un stress extérieur, « mais on ne se l’explique pas ». 

Des vaches agitées à la traite

Pourtant, pendant vingt ans, Pascale Durand l’assure : elle a fait son métier d’éleveuse « normalement ». La ferme laitière est un bien familial. Philippe, son époux, s’y installe en 1993 à la suite de ses parents. Trois ans plus tard, Pascale quitte un emploi salarié et le rejoint. « Nous avons commencé par un quota de 172 000 litres. Puis, au départ en retraite de notre voisin, nous lui avons racheté ses droits ». La production s’établit à 420 000 litres. La vie de l’exploitation suit son cours avec un troupeau de 60 vaches de race Holstein. « Le lait était facile à faire. Les vaches mangeaient et produisaient », dit Philippe Durand. La traite, c’est l’affaire de Pascale. « Je n’ai jamais rencontré de soucis. Et puis, au cours de l’année 2017, les mammites sont devenues plus aiguës. Ces inflammations nous intriguent car elles ne se limitent pas à un quartier mais en touchent deux ». Dans la salle de traite, les vaches « s’agitent comme si elles ne voulaient plus toucher le sol ». L’éleveuse est prise de vertige. « J’ai des maux de tête et je ressens beaucoup de fatigue ».

Un taux cellulaire élevé

Entre 2016 et février 2024, la production laitière a chuté de moitié alors que la conduite d’élevage n’a pas changé et que la ration couvre les besoins des vaches », constate Lucille Noyeries, conseillère d’élevage.

Sur les conseils du technicien d’élevage, Pascale Durand fait intervenir un électricien. « On a ajouté une prise de terre, cela a un peu apaisé les choses ». L’éleveuse se débarrasse du karcher et du lave-linge servant à nettoyer les lingettes utilisées lors de la traite. « Des fuites de courant avaient été constatées sur ces équipements, mais ça n’a rien changé ». En 2020, le GDS(1) contrôle l’exploitation. « On vous fait comprendre que vous ne savez plus faire votre métier ». Pascale Durand redouble d’efforts sur l’hygiène de la salle de traite. « Mes doigts sont brûlés par le désinfectant ». Rien n’y fait. Le nombre de cellules dans le lait dépasse régulièrement le seuil réglementaire de 400 000. « C’est désespérant. J’écarte une vache, une autre fait une montée de cellules ». Au fil des mois, « Il est difficile de récupérer une bonne moyenne au tank ».

L’état sanitaire dégradé

La santé des laitières se dégrade. Les vêlages se passent mal. « Les vaches sont trop stressées, elles se préparent mal ». Les boiteries sont difficiles à soigner et leur diagnostic est complexe. « Les ergots se ramollissent, je n’ai jamais vu ça ». Certaines vaches décèdent d’épuisement, affalées sur leurs deux genoux avant. Peu importe l’endroit où elles sont déplacées, les vaches manifestent leur mal-être. « C’est démoralisant ». En face de la stabulation, de l’autre côté de la cour, une étable abrite aujourd’hui les vaches taries. « Je n’y mets plus les génisses en gestation ni les veaux. Ils naissaient avec les yeux blancs et mouraient en quelques heures ». Pascale et Philippe Durand s’interrogent. Plusieurs professionnels se succèdent sur la ferme, en vain. « Les pollutions sont puissantes ». Et puis un jour, avec leur conseiller, les éleveurs mettent à plat et scrutent tous leurs résultats sur plusieurs campagnes. « Nous nous apercevons alors que le taux cellulaire a grimpé suite à la mise en route du parc éolien en avril 2017 », témoigne l’éleveuse. Un ensemble de cinq mâts visible des pâturages et à 1,3 km environ des bâtiments. « Nous n’avions jamais pensé à des causes extérieures »

PIC DE VENT ET TAUX DE CELLULES 

Les données dégagent une tendance, mais le lien est difficile à établir. Cependant, au mois de mai 2019, « Le parc éolien est arrêté trois semaines. Je retrouve des vaches apaisées. Le taux cellulaire diminue de moitié ». De même entre le 4 et le 15 septembre 2023, les éoliennes ne tournent pas. L’analyse du lait donne 256 000 cellules/ml (7/09), 258 000 cellules (13/09) puis 397 000 au premier retour du vent(2) . « Au fil du temps, j’ai constaté que le vent et la pluie amplifient les problèmes ». L’éleveuse observe également une corrélation entre la mortalité des vaches et les poussées de vent. « Un soir, j‘ai quitté une vache en forme. Le matin, je l’ai retrouvée le corps enflé, morte d’une hémorragie interne. C’est insupportable. Quinze jours plus tard, nouveau pic de vent, nouvelle mortalité. C’est à vous rendre fou ». Face à ces difficultés et la menace d’une suspension de collecte, l’avenir de l’exploitation est en jeu. Fin 2023, la chambre d’agriculture de Bretagne a saisi le GPSE (Groupe permanent pour la sécurité électrique des élevages). « Nous avons engagé une démarche auprès de TotalEnergies, l’opérateur du parc éolien » confirme Daniel Roguet, son président. « Nous suivrons ce dossier ».

NATHALIE BARBE

(1) GDS : groupement de défense sanitaire

(2) Rapport de visite de la chambre d’agriculture de Bretagne, octobre 2023. 


EN CHIFFRES…

Élevage Durand 

  • Philippe et Pascale Durand
  • une SAU(1) de 72 ha
  • 60 Holsteins à la traite
  • une référence de 420 000 litres
  • une alimentation à base d’ensilage et d’affouragement en vert
  • un accès au pâturage d’avril à novembre selon la météo.

 

 

 

 

 

 

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